Franck Riboud, l'entretien

On y est! Les joueuses sont sur place à Evian pour The Evian Championship, le 5e et tout nouveau Majeur féminin. Avant le coup d’envoi du tournoi, jeudi, Franck Riboud, le Président de Danone et du tournoi, revient sur la fantastique aventure collective qui a abouti à ce succès.
Par Nathalie Vion pour la Fédération française de golf.
Un jour, il faudrait écrire un vrai «papier» de sport sur la saga des Riboud et de l’Evian Masters, tournoi familial lancé en 1994 et qui devient donc le cinquième majeur féminin en ce mois de septembre 2013. Un article documenté, musclé mais délié, qui laisserait la place à l’anecdote, à l’impression. Et, bien sûr, à l’analyse d’une réussite dans le monde du golf, qui ne s’appuie pas juste sur la solidité du groupe Danone et de la marque Evian. Une histoire plus ronde, pleine, qu’on tenterait même un peu subtile. On y rappellerait quelques-unes des citations chères à Antoine Riboud, disparu en 2002. «La règle de base pour une négociation: faire marrer les gens, pour les mettre à l’aise ou, au contraire, pour les déconcerter»... Mais aussi: «Mai 68 nous a confirmé que le meilleur organisateur d’un travail est, quand il le veut, celui qui l’exécute». Franck Riboud, celui des quatre enfants qui a repris les rênes de l’entreprise d’un côté, et poursuivi par ailleurs le développement de l’Evian Masters jusqu’à lui faire obtenir ce fameux label de Majeur, fait assez bien écho à ces deux aphorismes. Dire qu’une interview est une sorte de négociation serait largement excessif. Mais pour bien expliquer qui on est, ce que l’on fait, et comment on le fait, en quelques dizaines de minutes et face à de parfaits inconnus ou inconnues, savoir faire marrer ses interlocuteurs s’avère plus efficace que tout. Franck Riboud a ce talent-là, on le vérifie à chaque fois. Quant à la capacité -rare- de croire que les autres, les collaborateurs par exemple, ont quelque talent aussi, pour peu qu’on les laisse organiser et exécuter le travail qui leur incombe, pas de souci là non plus. Si, pour assurer le succès de l’Evian Masters, et maintenant de The Evian Championship, «FR» peut s’appuyer sur les mêmes proches compétences depuis vingt ans, ce n’est pas un hasard tombé des Alpes un matin de Noël. Il faudrait, oui, un vrai texte écrit, un texte d’opinion, pour raconter le ton de l’entretien, aussi important que le contenu. Et ce phrasé faussement lent, «haut-savoyard mais si je veux», qui ne jette qu’une poudreuse légère sur la vraie nature -internationale, rapide, cartésienne, visionnaire et passionnée- de son propriétaire. Il faudrait aussi expliquer ce qui attache le PDG de Danone au sport. Son petit air de garnement fiérot quand il vous apprend qu’il a été «membre de l’équipe de France de ski citadine» et aussi «licencié au SCCR, le ski-club de la Croix-Rousse, à Lyon»! Sa véhémence quand il passe à sa vision personnelle du golf, à la priorité qu’il aimerait voir donner aux très jeunes espoirs, dès la fameuse période 8-12 ans, cet âge d’or des acquisitions psycho-motrices. Sa pêche, aussi, ce jour-là au 17 boulevard Haussmann, le siège parisien de Danone. C’est ici, aux côtés de Jacques Bungert, directeur du tournoi et complice historique de cette aventure golfique incroyable, qu’il répond gaillardement à toutes les questions, voire davantage... Alors qu’il a le jet lag d’un aller-retour à Boston entre les oreilles! Et puis voilà: comme d’habitude, comme tout le monde, on finira après l’entretien par opter pour le principe d’une interview écrite simple. Sans fioritures. Parce que tout ce qui est dit est vraiment, vraiment, pas mal. Sur le golf en général. Sur L’Evian Championship. Sur la façon dont les choses entreprises marchent. Ou ne marchent pas. Et que cela serait dommage de ne pas laisser du 100% Riboud, du pur Riboud, dans le texte. A lire ci-dessous...
Bonjour Franck Riboud. Votre état d’esprit à la veille de la première édition du tournoi en temps que Majeur féminin?
Nickel! Vous savez, on est déjà est tellement fiers de ce que les équipes ont réalisé pour mener à bien les travaux de rénovation du parcours depuis un an. Dans des conditions dantesques, titanesques, sur-réelles, tout ce que vous voudrez... Nous avons donc eu ce manque de chance total: pluie, neige et boue durant neuf mois entre l’automne 2012 et le printemps 2013. Et même l’été qui s’achève n’a pas été très favorable. Tout le monde dit: «Fantastique, il a fait très beau!» Mais les parcours grillés sur tout le territoire français, il y en a eu plein cet été! On a dû arroser sans cesse. Ce sera parfait... mais l’année prochaine, pour l’édition 2014. Comme l’a très bien expliqué Yannick (Le Hec, le «superintendant» du parcours et directeur de l’Evian Golf Club Resort, voir l’article associé), la nature est ce qu’elle est. On ne va pas plus vite qu’elle. Et le temps, cela ne s’achète pas.
Yannick Le Hec, qui a dû animer le chantier dans des conditions météo terribles, parle même de «coaching sportif» pour maintenir le moral des équipes aux pires heures...
C’est vrai qu’à un moment, ils étaient effondrés. Il a fallu faire un break, les emmener se balader en montagne quand cela devenait trop bloqué, trop dur. De mon côté, j’avais dès le début pris mon agenda et dit à ma secrétaire (à Paris, au siège de Danone): «Tous les dix jours, maximum, je suis à Evian!» De toute façon, pour notre groupe, il se passe toujours quelque chose à Evian. Nos réunions, nos meetings, nos conventions... Je vais également souvent chez Rolex, à Genève. Donc: quelque soit le temps, l’hiver dernier, je suis passé sur le chantier, j’ai foutu les bottes, on a déjeuné avec les ouvriers, voilà quoi... Si on ne vient pas sur place, ce n’est pas pareil. Et Yannick l’a bien expliqué: de par cette météo tellement compliquée, il a fallu mobiliser des énergies qui dépassaient l’entendement. Alors, oui, c’était vraiment du management d’hommes. Pas seulement un classique chantier de rénovation de golf. Il faut quand même savoir que dans la boue, derrière le n° 18, on a failli perdre une pelleteuse!
Perdre une pelleteuse aspirée par la boue, c’est mieux que de perdre un ouvrier...
Mais justement: il était dedans!!! (rires) En fait, la pelleteuse était presque enfouie dans la boue. Il pleuvait tellement, c’était imbibé d’eau. On a aussi du faire cette route en caillasse pour pouvoir faire circuler les gros engins au milieu du golf! Et ce, en utilisant les gravats que nous avions récupérés puisqu’en même temps, nous rénovions Le Royal (après l’Ermitage, rénové en 2011, ce sont donc les deux palaces du Resort qui sont dans de nouveaux habits chics et tous beaux). Si nous avons été inquiets de ce contexte, Jacques (Bungert) et moi? Ben non. On faisait confiance aux équipes de terrain. On y connait rien, nous! Il y a juste sur le timing de l’inauguration, le 1er juillet, où même mon voisin de gauche (Jacques, donc) commençait à flancher gentiment, que je suis resté ferme. On devait tenir. Je l’ai dit, à Yannick (Le Hec): «Non! On garde la date! Si tous les trous ne sont pas finis et que les joueurs invités doivent se contenter de marcher simplement le n°4 ou le n°5, eh bien tant pis...» Sans date butoir, il n’y a pas le coup de collier des derniers quinze jours. C’est comme quand vous refaites votre maison. Si vous repoussez la date de votre installation, ce n’est jamais fini. Chez moi, je vois bien, il y a encore des fils qui dépassent parce qu’on a pas mis les machins qu’il fallait il y a dix ans, mais c’est comme ça.
Pour remplir les bunkers vitesse grand V en juin, il y a aussi eu ces 700 rotations d’hélicoptère...
Oui, j’ai quand même demandé un petit peu combien ça allait coûter! (rires) Mais l’un dans l’autre, l’écart est totalement en faveur de l’hélicoptère (environ 25 heures pleines contre un mois de travail avec des camions). Et puis nous avions déjà procédé ainsi, avec les hélicoptères, il y a vingt ans lors de la première rénovation du parcours. A cette occasion, on devait d’autant plus être prêts que pour l’inauguration que nous avions invité un président de la République. C’est à dire François Mitterrand. A l’époque, Valérie Pamard était directrice du golf. Pour le lancement du nouveau parcours, nous avions imaginé organiser un pro-am masculin. Lequel s’est plus ou moins bien passé. Je ne m’étale pas sur le sujet, donc! Et l’année suivante, on avait fait un pro-am féminin qui, lui, s’est admirablement bien déroulé... Et cela est devenu l’Evian Masters...
Malgré les aléas des travaux de l’hiver 2013, ceux qui ont eu la chance de fouler le «nouvel Evian» cet été parlent d’un tracé magnifique et d’un entretien déjà superbe...
Oui, c’est vrai. Fin août, j’étais sur place. Quand on marchait sur les greens, on sentait leur dureté comme quand on passe de la moquette à un dallage! Sous les pieds, c’était dur, roulant, franc. Impressionnant! Les greens, c’est vrai, sont déjà exceptionnels. Après, sur le fairway, il y a bien deux-trois endroits où ce n’est pas encore tout à fait... On verra bien comment les Américains (de la LPGA, l’association du golf féminin pro) nous auront repeint le truc en blanc pour le tournoi! (rires) Sérieusement, il y a quelques zones -dont la plupart ne sont pas dans le jeu- qui sont encore «bonifiables» l’année prochaine. Donc, on va demander un peu de, disons de... gentillesse, pour cette première édition en tant que Majeur.
Quel coût au total pour cette rénovation de parcours et ce tracé à la hauteur du cinquième Majeur féminin, The Evian Championship?
Sept millions d’euros... Comment on amortit un tel investissement? Tout dépendra de l’action que la Fédération peut avoir auprès de Bercy ... Parce qu’en ce moment, on peut amortir si on a le projet de transformer un champ de patates en camping... Mais beaucoup moins quand il s’agit d’un équipement sportif! Pour nous, là n’est pas le vrai sujet de toute façon. Le sujet, c’est que lorsque l’on a un bien comme ce parcours de golf, il faut l’entretenir sans relâche pour continuer à créer de l’intérêt et un flux de consommateurs vers le golf.
Quel impact le label de tournoi majeur a t-il eu sur le prix du green fee?
Il a augmenté de 30 %. On est à 150 francs suisses. 140 euros. Et pour les joueurs réguliers, nous avons à Evian un système «d’adhérents», on ne parle pas de cotisation. Nous leur avons offert l’année 2013. Normal, car le parcours a été pas mal fermé. Puis sablé, re-sablé et encore sablé! Pour la saison à venir, soit 2013/2014, on s’est alignés sur les tarifs locaux, notamment suisses. On reste très compétitifs mais après, c’est quand même une entreprise commerciale. L’école de golf, elle, est quasi gratuite pour les enfants.
Dans la foulée de The Evian Championship, le parcours accueille, entre le 17 et le 22 septembre, deux très beaux événements internationaux réservés aux jeunes talents: la Evian Junior Cup (moins de 14 ans) et la Haribo Kids Cup (8 à 12 ans)...
Oui, The Evian, c’est 10% de l’iceberg et à partir du tournoi, on essaye de développer une plateforme qui travaille pour le golf en général. La Haribo Kids Cup et la Evian Junior Cup en font partie. En 2014, on va aussi développer une qualification sur deux tours pour donner aux joueuses la chance de gagner leur ticket pour The Evian Championship, mais clubs en main. Parce que sinon, il n’y a que le système des wild cards. A t-on des places pour les Françaises, pas de places pour les Françaises, c’est toujours la même histoire... Ce sera plus «fair» comme cela.
Comment, en juin 2014, se dérouleront les qualifications pour The Evian Championship?
On donnera deux spots aux deux premières à l’addition des deux tours. Ce sera ouvert à toutes les joueuses. Les filles arriveront. Et elles planteront leur tee au n°1... après avoir payé leur fee, autour de 200 euros.,. Comme cela se fait aux Etats-Unis pour les qualifs des grands tournois. C’est peut-être un peu plus cher, mais ce n’est pas grave. Car même si ces journées contribuent à la vie du Resort, cela nous fait quand même fermer le parcours pendant deux jours. Et comme on le prête tout le temps... On se dit aussi que... les pros, ce sont les pros, après tout!
Pour les préparatifs ultimes de cette première édition de The Evian Championship, le parcours a été fermé quinze jours en amont, soit le 26 août 2013...
L’année prochaine, on ne fermera au public que huit jours avant le début du Majeur. Mais il y aura une nouveauté: le parcours restera ouvert, en matinée uniquement, pour les seuls clients de l’Evian Resort (les grands hôtels Ermitage et Royal). On va en faire un produit.
Revenons deux ans en arrière, en 2011, quand vous avez su que l’Evian Masters se voyait accorder un statut de tournoi majeur par la LPGA. Revivez-vous souvent la scène en flash-back?
Au oui! Tous les deux, oui! (Franck Riboud se tourne vers Jacques Bungert et ils ont le même sourire jusqu’aux oreilles). On considérait bien sûr cela comme un vrai succès. Car pour en arriver là, il fallait d’abord bien comprendre ce monde très anglo-saxon des instances dirigeantes du golf mondial. C’est un monde avec son histoire, ses codes... Et nous qui sommes des gens très très codés avec Jacques, comme tout le monde le sait bien ! (il ironise) Donc, il a fallu qu’on comprenne ces codes. Qu’on montre patte blanche. Et de temps en temps, qu’on manifeste un peu d’énervement quand même! Nous, on a voulu tout bien verrouiller. On avait signé cet accord, mutuel, pour devenir «Major» (le terme anglais pour Majeur). Très bien. Mais moi, je me suis battu, avec Jacques, avec Yannick (Le Hec) et avec d’autres, pour tout agrafer à cet accord. D’abord le budget, puis le plan du nouveau parcours avec même le nom des fournisseurs, puis le nom des deux architectes et la définition précise du rôle que tiendrait celui de la LPGA. Tout était contractualisé. Y’en a qui reniflent le sang. Y’en a d’autres qui reniflent le pognon (rires), il faut faire attention à tout.
Qu’est-ce qui a le plus compté pour réussir cette performance de devenir un tournoi du Grand Chelem après vingt ans d’existence de l’Evian Masters? Le fait que vous soyiez à la fois des patrons d’entreprise et de vrais passionnés de sport?
Au départ, on avait surtout la volonté de faire quelque chose pour le golf féminin. Franchement, c’est déjà parce que le pro-am avec les joueuses s’était si bien passé qu’on a créé l’Evian Masters. Après, on est entrés dans des considérations financières. C’est à dire que nous nous sommes aperçus que nous pouvions très vite atteindre, avec les joueuses, un sommet qui nous aurait été totalement inaccessible financièrement avec les hommes. Et puis là, il n’y a pas«d’appearance fees» (grands joueurs payés pour leur seule présence). Donc des choses beaucoup plus simples et beaucoup plus dans «notre jus». Et tout cela avec une élégance... Vis à vis de la marque Evian, cela «fittait» mieux!
En 1994, avec votre papa, Antoine, auriez-vous pu imaginer que cet Evian Masters que vous lanciez deviendrait The Evian Championship, le nouveau et cinquième Majeur féminin, en septembre 2013?
Non! Bien sûr que non! Mais les gens qui connaissent Danone, qui nous connaissent, qui connaissent Jacques, qui connaissaient mon père, et qui me connaissent, moi, savent que si on commence quelque chose, on va essayer de faire le mieux du monde. Et si vous essayez de faire les choses le mieux du monde, eh bien, petit à petit, vous grimpez l’échelle. Après, dire que, en tant que patrons d’une grande entreprise, nous étions «experts», comme vous le dites, pour tout l’aspect économique, je ne sais pas... Ce qui est sûr, c’est que quand un tournoi est adossé à une entreprise comme Danone, et tant que le groupe estime qu’il a un retour sur investissement, on a les moyens d’accompagner sa croissance.
Le rôle des joueuses dans cette ascension du tournoi?
A l’époque, le tournoi était très lié au circuit européen. Et à des joueuses qui avaient de la no-to-rié-té! Laura Davies, Annika Sörenstam, Marie-Laure de Lorenzi... Et puis les autres Françaises: Sandrine (Mendiburu), Patricia (Meunier-Lebouc), Marine (Monnet), Ludivine (Kreutz)... Ou encore les Suédoises: Catrin Nilsmark, Helen Alfredsson. Et l’Australienne Karrie Webb... Le golf féminin européen était fort. Il y avait de la no-to-rié-té, je le répète. Inclus en France.Et les meilleures Européennes qui jouaient déjà aux Etats-Unis étaient ravies de venir chez nous, dans une ambiance familiale où on s’occupait d’elles, où on les choyait. Du coup, dès le départ, et alors que le prize money (dotation) n’était pas très haut - de mémoire 1 million de francs, donc bien moins que ce que proposait la Hennessy Cup, ou le British Open...-, eh bien, toutes revenaient! Et on sentait qu’elles avaient envie de nous aider à construire ce qui deviendrait LEUR tournoi. C’est pour cela qu’elles ont dit très vite que c’était leur Majeur, pardon, leur Masters, à elles!
Quels souvenirs marquants, quelles explications à ce champ de golfeuses rapidement exceptionnel?
Au début, les joueuses qui venaient chez nous sans l’autorisation de la LPGA devaient payer une amende! Nous, on couvrait ce risque. En 1997, la Japonaise Hiromi Kobayashi n’eût pas à payer cette amende car elle avait dit dès le départ qu’elle serait à l’Evian Masters. Donc, elle vient. Elle est tête de liste. Et elle gagne! On a eu un pot extraordinaire! Le champ de joueuses, on l’a toujours eu. Aucune problématique pour faire venir des championnes à Evian! Ni pour faire grandir le tournoi dans le monde du golf parce que les joueuses nous relayaient aux Etats-Unis. Un tournoi devient grand d’abord par celles qui le gagnent. J’avais demandé à Jean-Claude Killy, qui connait bien le monde du sport de haut-niveau, de nous expliquer le succès des grands tournois pros de tennis. Et sa réponse: «Au début, le succès du truc, les medias, vous vous en fichez. Un jour viendra où l’intérêt se développera tout seul parce que vous vous serez d’abord focalisés sur l’acteur principal, c’est à dire le champion ou la championne.» Voilà. Rien d’autre. Et on a fait ça. On les a reçues, entourées, on en a même aidées certaines dans des situations personnelles....
Autre clé de la réussite selon vous, Franck Riboud?
C’est quand il y a une seule personne qui décide. Pas quarante! Là, cette personne, c’est moi. Voilà: je dé-ci-de. (il martèle chaque syllabe). J’écoute, je regarde. Mais au final, je dé-ci-de. Et je décide des deux côtés: que ce soit du côté des sponsors ou du côté du tournoi. Donc, à la fin c’est assez aligné comme truc! (grand sourire)
Organiser l’Evian Masters, vous l’avez souvent rappelé, fait au départ partie du contrat «d’animation» que la marque Evian doit à la ville d’Evian...
Oui, ce tournoi est un dû. Ce n’est pas une danseuse que nous aurions. Nous avons effectivement un devoir d’animation vis à vis de la ville. On a arrêté, pour développer le golf et le tournoi, plein de petits trucs qu’on faisait avant. Les majorettes, les conneries...
Ne nous fâchons pas avec les majorettes haut-savoyardes!
Sérieusement, nous nous sommes re-focalisés sur un événement qui valait vraiment la peine. Et un événement durable. Ce qui nous a permis à nous de négocier avec les sponsors sur de longues durées, dont un au moins a déjà dépassé la décennie.
Si votre papa était encore là (Antoine Riboud, né le 25 décembre 1918, est décédé le 5 mai 2002...) comment aurait-il vécu ce premier «Evian Championship»?
Ben, ça serait mieux s’il était là! Tout simplement: il aurait adoré. Adoré, oui... D’abord, il adorait les femmes, il le disait lui-même. Et en même temps, il adorait le golf. Voir aussi l’évolution du parcours, ça lui aurait plu! Vous savez, même moi qui ait grandi là-bas, à Evian, je découvre encore de nouveaux points de vue depuis la rénovation du parcours... C’est fabuleux.
Par exemple?
Ben tiens: le n°5! Cet ancien par 4 qui était tout en montée. Moi qui joue déjà comme une pelle (son meilleur index, nous semble t-il, est quand même, ou a été, à un chiffre!)... Alors, bon, en montant «cte» pente, en vieillissant en plus, on avait même plus le courage de se retourner pour regarder la vue. Et là, vous jouez ce par 3 qui est magnifique et qui est à plat. Ensuite, vous marchez sur une crête, vous êtes comme Jonathan le Goéland! (il écarte les bras et mime le coup d’ailes du volatile philosophe). Donc oui, mon père aurait été ravi. D’ailleurs, on voulait lui offrir un arbre... C’était au bon endroit, au nouveau par 3 n°5 justement, entre lac et montagnes. Cela aurait été impeccable. Eh bien, ce con d’arbre, il a cramé entre-temps! On va voir, on va peut-être le peindre en vert... (rire général)
Pensez-vous que les gens qui ne connaissent pas forcément le fonctionnement du golf en profondeur se rendent compte du tour de force que cela a été d’amener la LPGA à autoriser la création d’un cinquième Majeur (au lieu des quatre traditionnels, chez les dames comme chez les messieurs). En plus, dans un pays non anglo-saxon, «in a non english speaking country»? C’était quand même énorme...
Enorme! C’est tout à fait cela! Ce que je veux dire, c’est qu’il n’y a pas que le pays qui ne parle pas anglais, moi aussi! (ce qui n’est pas exact, Franck Riboud donnant maintes conférences de presse en anglais depuis des années lors du tournoi). Oui, c’était énorme. Cela dit, nous, l’Evian Masters, n’étions pas dans une position de survie. A un moment, on avait même le projet très différent de faire un tournoi avec les filles numéros 1 de tous les pays du monde! Ou de réfléchir à un très grand tournoi amateur. Euh, d’ailleurs, cette seconde idée n’est pas oubliée!
En fait, face à la LPGA, vous n’étiez pas demandeurs du Label Majeur à tout prix...
Je vais vous dire: à un moment, on a eu l’impression qu’en face, ce nouveau Majeur, «ils» en avaient presque plus besoin que nous. J’en suis même sûr. «Ils» perdaient quelques tournois. Il y avait la crise économique. On était en 2008... Et puis Mike Whan (le «commissioner de la LPGA) est arrivé... Avec des idées beaucoup plus internationales. Moi, de mon côté, je ne cessais de leur dire qu’on s’en fichait des codes, que le golf féminin mondial devait se singulariser par rapport au golf masculin. Jacques (Bungert, toujours) et moi leur avons toujours donné notre sentiment: l’avenir du golf féminin est vraiment d’avoir un circuit mondial, un classement mondial. D’où le Rolex Ranking que nous appuyons depuis cinq-six ans. Vous savez, ça ne marche jamais parce que vous êtes uniquement fort. Bien sûr, nous avions de vrais arguments et nous avons aussi su faire des concessions. Mais ça marche parce qu’à un moment, il y a une conjoncture... Un réseau de circonstances et de convergences qui font que cela devient «win-win» (gagnant-gagnant). Et là, tout le monde est content.
Enfin... Des concessions... Réussir à faire rebaptiser le tournoi «The Evian», c’était assez fort aussi. De la concession tout bénéfice!!!
Euh, oui... Ca, on aurait pas pu faire beaucoup mieux! (rires). Devenir le dernier des cinq Majeurs de la saison, ce n’est pas mal non plus... Là, de surcroît, Inbee (Park, la Sud-Coréenne numéro 1 mondiale) peut faire le Grand Chelem en remportant son quatrième Majeur dans cette seule saison 2013. Et on va justement annoncer cette semaine que, chaque année à l’issue de The Evian Championship, nous aurons une remise de prix qui récompensera la meilleure «performeuse» à l’addition des cinq «Majors».
Qu’avez-vous hâte de voir, et de vivre, quand cette première édition de The Evian Championship va commencer, ce jeudi 12 septembre?
Celle qui va gagner sera vraiment bien en swing durant quatre jours, c’est ce que je peux vous dire. Surtout que «L’Autre» (on imagine que Franck Riboud parle de Yannick Le Hec, son superviseur de parcours!) a laissé pousser des roughs comme pas permis! (nouvel éclat de rire) Bon, on peut craindre que «L’Américain» (on imagine qu’il s’agit du consultant technique de la LPGA!) lui fasse tout tondre. Mais on fera comme d’habitude: on dira oui et on fera pas! (re-rires) Il n’aura pas le temps de réagir de toute façon. Et puis les tondeuses, c’est quand même nous qui les avons! ( énième rigolade). Sérieusement, ce que je vais dire est peut-être idiot. Mais si vous êtes une joueuse, que vous jouez bien, que vous réfléchissez, que vous respectez le sport golf tel qu’il est, ça devrait bien se passer. Après, dans le cas contraire, ça pourra quand même vite basculer du côté du drame!
Surtout sous la pression, qui va être exacerbée par l’enjeu... Les joueuses rêvaient déjà très fort de remporter l’Evian Masters, là, on parle de The Evian Championship, tournoi du Grand Chelem. Et avec un public à la hausse sans doute?
Oui, oui!!! (en choeur avec Jacques Bungert). On attend aussi de voir la réaction du public!On dit toujours qu’on y connait rien... Mais quand même, on s’intéresse... D’autant que pour moi, il y a aussi le rejeton (Hugo Riboud, 12 ans et un swing d’avenir), qui passe sa vie devant Golf +! En tout cas, cela faisait trois-quatre mois que je disais à Jacques: «Y’en a marre de ces grandes tribunes autour du n°18, un peu partout sur les tournois. Un jour, ils vont nous construire des immeubles!» J’avais donc envie qu’on revienne à un truc épuré, monochrome. Notre «benchmark», il est connu, on ne s’en cache pas: c’est le Masters d’Augusta. Eh bien, nous y sommes allés. Et même dans les pentes, eux, ils mettent des sièges! Alors, on en est arrivés au principe suivant: ne nous emmerdez pas, si vous voulez être dans les endroits VIP, super VIP, eh bien, tant mieux, vous y êtes. Mais quand vous voulez allez voir la sportive et son jeu de plus près, ben, vous mettez vos bottes et vous vous promenez sur le parcours... Donc: on a fait supprimer la tribune du 18. Et on a couvert de chaises. Superbes, en plus, les chaises. Mieux que celles d’Augusta!
Mieux que les chaises d’Augusta! Et pourquoi?
C’est rapport au petit trou! Parce qu’à Augusta, je vous raconte... Avec Jacques, on va sur place, là-bas à Augusta. Un matin, on arrive sur le tournoi, on s’asseoit... Et là... Le cul trempé! Il avait plu durant la nuit. Et comme le fond de leurs chaises n’a pas de trou, c’était resté humide! Nous, on aura des chaises à trous, d’où la pluie s’évacue!
Pour le public, il y aura «Le puzzle», cette grande zone devant le clubhouse, sans tribunes donc...
Oui, de cet espace-là, les spectateurs auront le coup d’oeil sur plein de choses: des départs, des greens, des deuxièmes coups, des approches, le lac... (Jacques Bungert: «Ca va être top, vraiment!»). En résumé: c’est léger, c’est beau, c’est mignon. On dirait un aéroport!
Un dernier mot sur les trois Françaises qui sont de cette grande fête de The Evian Championship première édition?
Karine (Icher), c’est normal qu’elle soit là. Elle est aujourd’hui l’une des meilleures joueuses du monde. Rien à dire! En plus, elle est adorable, sympa! Gwladys, elle a été numéro 1 européenne en 2008 et elle obtient sa place en gagnant un tournoi cette année. Donc rien à dire là encore. Je vous le précise franchement en plus: si elle n’avait pas été qualifiée directement, je lui donnais une wild card. Quant à Johanna (Klatten), elle a bénéficié d’une des deux dernières invitations, en tant que numéro 3 française au Rolex Ranking. Nous nous sommes aussi souvenus qu’en 2012, quand nous avions encore la liberté de donner des wild cards à quatre ou cinq Françaises, elle était passée à la trappe. Juste au ras des marguerites! Elle a, de son côt, eu un clin d’oeil sympa, cet été après sa place de 3e à l’Open d’Espagne. On la voyait sur Facebook -ou je ne sais plus quel truc... sur internet quoi!- montrer du doigt une bouteille d’Evian. Message clair! Mais de toute façon, sur les critères stricts, on l’aurait déjà choisie.
Cette fois, on y est! Comment vous sentez-vous à l’intérieur? Et avez-vous seulement eu le temps de jouer «votre» nouveau parcours, Franck?
Le parcours, je l’ai joué trois fois cet été. Une fois avec mon fils Hugo. Une fois avec Yannick (Le Hec) où il n’y avait même pas de drapeau donc pas de trous! Et une fois lors de l’inauguration du 1er juillet. Sous une pluie battante et en regardant du coin de l’oeil Hugo qui jouait aux côtés de son grand-père (Philippe Mendiburu, le pro et entraîneur basque, papa de Sandrine) et de sa grand-mère, je trouvais cela tellement sympathique... Là, on y est, oui... Nous sommes sereins et concentrés. Et en même temps, très excités! Car tout cela est si nouveau. Nous vivons une sorte de renaissance!
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