Marie-Laure de Lorenzi : « Mes quatre Solheim »

À quinze jours du rendez-vous de St. Leon-Rot, Marie-Laure de Lorenzi revient sur « ses » éditions de 1990, 1996, 1998 et 2007 dans le cinquième et dernier volet de notre saga consacrée à l'histoire des Françaises en Solheim Cup.
Vous avez été quatre fois membre de l’équipe européenne de Solheim Cup : trois fois comme joueuse, une fois comme vice-capitaine. Comment était l’édition originelle de 1990 à Lake Nona, en Floride ?
Ah, 1990… C’est loin tout ça! D’autant que cela fait dix ans que j’ai arrêté ma carrière. Et même cinq ans que je ne joue plus du tout au golf. Je rejouerai sans doute, mais plus tard. En 1990, la Solheim Cup, c’était donc quelque chose de tout nouveau. L’idée, c’était de valoriser un peu plus le golf féminin. Notamment par rapport à la Ryder Cup que disputaient les hommes. C’était passer un cran au-dessus, monter le bout de l’échelle qui nous manquait, à nous les joueuses. Pour cette première Solheim Cup, les Américains ont fait cela très bien. C’était super organisé, avec un parcours de rêve à Lake Nona. Tout était fantastique!
Double vainqueur de l’Ordre du mérite européen lors des saisons 1988 et 1989, vous étiez sans aucun doute le super leader de l’équipe européenne. Mais était-ce compliqué pour vous de passer du mode individualiste au mode collectif ?
Pas du tout. Parce que je n’étais passée professionnelle qu’en 1987. Donc la période de dix ou douze ans durant laquelle j’avais joué en équipe de France amateurs n’était pas si loin. On jouait alors beaucoup de match-play, des foursomes, on allait disputer les Championnats du monde ou d’Europe en équipe. Et j’adorais cela! Donc, pour moi, c’était comme un retour en arrière super sympa, trois ans à peine après avoir quitté le monde amateur.
Vous sentiez-vous une responsabilité particulière, car vous étiez vraiment LA joueuse européenne dans ces années-là…
Non. Car le contexte devient très différent. On passe vraiment des individualités à un jeu d’équipe. Il faut toutes aller dans le même sens. Faire que cela fonctionne, être complices, s’accommoder du jeu et de la personnalité des autres joueuses.
Pour cette première Solheim Cup de 1990 à Lake Nona, il n’y a pas photo: États-Unis 11,5 pts - Europe 4,5 pts… Pensez-vous que les Européennes étaient un peu complexées face aux Américaines ?
Ce n’est pas cela. On partait toutes avec une envie forte de gagner. Mais nous n’étions pas assez mûres pour ce type de compétition. En ce qui me concerne, à cette époque, le plus difficile me paraissait l’adaptation aux parcours américains. Plus techniques, plus longs, avec des greens méga-rapides. Les Américaines avaient cinquante tournois avec ce type de conditions dans leur saison. Nous, sur le Tour européen, nous n’en étions qu’à vingt-cinq tournois au programme avec, peut-être, pas plus de cinq parcours vraiment à la hauteur. C’était d’abord ce manque d’habitude par rapport aux conditions de jeu qui nous caractérisait.
Entre 1990 et l’édition 2007 de la Solheim Cup, que vous avez vécu comme vice-capitaine aux côtés de la capitaine Helen Alfredsson, que voyez-vous comme différence ?
Il y a vingt-cinq ans, l’Europe c’était encore un concept tout nouveau. On était une équipe, mais chacune encore bien sous son drapeau, avec sa culture, sa façon de faire. Et nous n’étions pas assez préparées. On avait le niveau, on jouait pas mal mais c’était un peu les montagnes russes. Nous étions trop vertes. Mais il faut bien commencer un jour. Je dirais qu’il n’y avait pas encore la cohésion qu’il y a eu ensuite, à partir du moment où les Européennes se sont mises à jouer plus sur le LPGA Tour, sur les traces de toutes ces Suédoises qui étaient les premières parties étudier et jouer dans les universités américaines. C’est cela le gros changement. Il y a eu une acclimatation, des habitudes de prises, une sorte de globalisation du golf. C’est pour cela qu’on s’est mises à gagner beaucoup plus souvent la Solheim Cup. Un peu comme les Européens en Ryder Cup.
Quel souvenir gardez-vous de votre deuxième Solheim Cup, en 1996 au Pays de Galles : États-Unis 17 pts - Europe 11 pts ?
Nous aimions toutes beaucoup le parcours de Saint-Pierre (à Chepstow). Tout le public était derrière nous. Je crois que nous étions en avance après les doubles. Mais l’entente dans l’équipe d’Europe n’était pas excellente. Il y a eu un manque de confiance, un blocage sur le dernier jour, où plus rien ne fonctionnait. On s’est un peu brûlées toutes seules…
Et votre troisième et dernière édition en tant que joueuse, en 1998 à Muirfield Village, dans l’Ohio ? Encore une défaite pour l’équipe (États-Unis 16 - Europe 12) mais de votre côté, vous marquez deux points avec une victoire en simple face à Chris Johnson et une victoire lors des doubles où vous étiez associée à Helen Alfredsson…
Oui, c’est ma meilleure édition. Le parcours était passionnant. Très difficile. Très long. Il convenait parfaitement à mon jeu. Et j’étais en train de reprendre du poil de la bête après plusieurs saisons où j’avais été embêtée par des blessures au poignet et à l’épaule. De plus, à la troisième édition, on est moins nerveuse, l’expérience aidant. Je m’entendais aussi très bien avec « Alfie » (Alfredsson). Elle n’avait pas peur de râler sur le parcours, elle savait que cela ne me gênait pas. Le public US était également super cool. Bien sûr, les gens supportaient plus les Américaines mais tout le monde était vraiment très fair-play et très sympa avec nous. C’était extraordinaire ! Oui, malgré notre défaite, c’est mon meilleur souvenir.
« Quand tu es vice-capitaine de l’équipe, tu te mords les doigts toute la journée; quand tu joues, tu sautes dans l’arène et tu es là pour tuer le toro »
Parlez-nous de votre complicité avec la Suédoise Helen Alfredsson, avec qui vous aviez joué votre trois matches de double, en 1998 à Dublin, dans l’Ohio ?
Avec Helen, on se connaissait depuis les juniors, aux Championnats d’Europe, etc… Helen est une Suédoise, disons, atypique ! Elle est plutôt du genre espagnol! Elle vient encore souvent me voir à Barcelone. Elle a aussi vécu à Los Angeles. D’ailleurs, on se parle en espagnol toutes les deux. Sur le parcours, on est très différentes. Elle est assez explosive. Moi, je suis beaucoup plus calme. Même si dans la vie, je suis très « voyou ». J’aime rigoler, manger, m’amuser. Mais pas au golf. On m’a éduquée comme cela : quand on joue, on ne dit pas de gros mots, on reste calme. C’était aussi ma façon de me concentrer… Alfie, elle, pouvait être plus extravertie, et elle savait que cela m’amusait ! En foursomes, il faut beaucoup de concentration. Et être amies comme nous le sommes, cela aide. Quand on jouait ensemble, on avait dix-huit ans une seconde fois !
Cette complicité, cette complémentarité, est-ce cela qui fait tout le sel des matches joués en Solheim Cup ?
Déjà, je dirais que quelque soit le bon moment passé ensemble, la défaite reste toujours amère. Mais c’est vrai que lorsqu’on est soudées comme cela, qu’on met toutes ses tripes dans le match, qu’on participe de la même voix, qu’on pense ensemble le même coup et qu’on accepte absolument toutes les erreurs de l’autre, alors, cela devient fantastique! C’est un peu comme dans un mariage réussi. Chacun garde son caractère, sa personnalité, mais parfois, au moment important, tu ne fais plus qu’un. En golf, bien sûr, il y a le swing, mais tout cet aspect psychologique est tellement important.
Comment avez-vous vécu votre quatrième Solheim Cup, celle de 2007 à Halmstad, en Suède, vécue en tant que vice-capitaine d’une équipe européenne qui allait être battue 16 à 12 par les Américaines ?
Quand on est capitaine ou vice-capitaine en Solheim Cup, on se mord les doigts ou les ongles à longueur de journée. C’est très intéressant mais très difficile. On est là pour aider au maximum, mais on ne peut pas s’impliquer physiquement en tapant les coups! Quand tu joues toi-même, tu sautes dans l’arène et tu es là pour tuer le toro. Là, ton rôle se situe au niveau de la tactique et de la stratégie. Il faut essayer de penser comme ces joueuses qui sont, quand elles jouent en Solheim Cup, au top de leur carrière. Voir qui va jouer avec qui… C’était doublement intéressant pour moi. Parce que j’assistais « Alfie » et parce qu’il y avait aussi Annika (Sörenstam) dans l’équipe. Annika avait des problèmes de dos et allait arrêter sa carrière juste après, à la fin de 2007. Donc elle jouait mais elle était aussi déjà pas mal dans un rôle de conseil pour le groupe. On pensait vraiment qu’on allait gagner. Et puis le dernier jour, cela n’est pas allé. Mais avec Helen et Annika, on sentait que les choses n’allaient pas tarder à changer. Que les Européennes, comme les garçons en Ryder Cup, étaient sur le point de devenir beaucoup plus fortes dans cette compétition (NDRL : prédiction avérée avec la première victoire de l’Europe sur le sol américain, en 2013 dans le Colorado, qui suivait la victoire de 2011 à Killeen Castle, un doublé inédit pour l’Europe en treize éditions).
N’étiez-vous pas intéressée pour vivre d’autres éditions de la Solheim Cup en tant que vice-capitaine, voire capitaine ?
Non, parce que déjà, en 2007, j’avais accepté mais vraiment pour « Alfie », parce que c’était elle la capitaine. Mais j’étais fatiguée de cette vie, je n’avais plus envie de voyager. Et on voyage encore beaucoup quand on prépare une Solheim Cup ! Je voulais privilégier ma vie privée, ne plus vivre que pour le golf. Or, pour réussir dans ce rôle-là auprès des joueuses, il faut être méga-motivée. C’est pourquoi, quand on m’a demandé de postuler pour être carrément capitaine en 2009, j’ai préféré laisser la place à d’autres joueuses qui souhaitaient vivre cela plus fort que moi, et qui méritaient toutes d’être capitaine. Ce n’est pas que cela ne m’intéressait pas. Mais je ne voulais pas me présenter juste pour avoir « le titre » alors que je souhaitais prendre une autre décision plus importante encore pour ma vie en général.
En trois Solheim Cup comme joueuse, vous n’avez jamais connu la victoire. Est-ce un regret dans votre carrière ?
Oui, je n’aurais jamais gagné le Solheim Cup et bien sûr, je le regrette, cela aurait été important. Mais je dois dire que si je me retourne sur le passé, mes deux grands regrets sont ailleurs. Je regrette de ne pas avoir joué sur le LPGA Tour, le circuit américain. Et je regrette de ne pas avoir gagné le British Open.
Avez-vous, en revanche, un souvenir fort de l’une des victoires européennes en Solheim Cup, du point de vue de la simple spectatrice qui vit les événements de loin ?
Oh oui! Quand les filles ont gagné en 2011 à Killeen Castle! C’était tellement fantastique. 2011, c’est l’année où Seve (Severiano Ballesteros) est décédé. Il est parti quelques mois plus tôt, alors que se tenait l’Open d’Espagne masculin. Après leur victoire, quand les filles ont fait une dédicace spéciale à Seve, j’ai été très émue. Même si je n’étais pas avec elles physiquement, j’y étais mentalement. Une grande émotion. Très beau…
La prochaine Solheim Cup, du 18 au 20 septembre à St. Leon-Rot, en Allemagne, est imminente. Karine Icher et Gwladys Nocera y représentent la France au sein de l’équipe d’Europe. Un petit message ?
Je connais plus Gwladys, qui était d’ailleurs dans l’équipe en 2007 à Halmstad, moins Karine, qui est partie jouer sur le circuit américain et avec qui j’ai encore plus d’écart côté âge (Marie-Laure est née en 1961, Gwladys en 1975 et Karine en 1979, NDLR). En tout cas, je leur souhaite le meilleur, à elles deux et à toute l’équipe européenne. Good luck et en avant !
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