Place aux Jeunes

Deux styles différents, mais une volonté commune : favoriser l’éclosion de jeunes champions français. Jean-Lou Charon et Franck Riboud ne perdent pas temps en querelles de clocher.
Jean-Lou Charon entend bien les propos tenus par son interlocuteur privilégié, mais fait valoir son positionnement de partenaire non négligeable : « La Fédération n’a certes pas de "main mise" sur l’Evian Championship ni sur ce que fait Franck, cela ne veut pas dire pour autant qu’elle n’ait pas "d’implication" dans l’épreuve.
Ce sont deux notions fatalement très différentes. Vous avez d’un côté les Open(s) de France, que ce soit l’Alstom Open de France (masculin) ou le Lacoste Ladies Open de France qui dépendent et "appartiennent" au fonctionnement fédéral. Et vous avez, de l’autre côté, un Majeur, le seul en Europe continental, on l’a souligné, qui a été construit et totalement mis en place par Franck et ses équipes. » (NDLR : Jacques Bungert, Yannick Le Hec, Steve Brangeon).
Un exemple de collaboration illustre assez bien l’état d’esprit qui unit les deux camps, c’est le système d’échanges au niveau des green-keepers des deux plus gros tournois organisés sur le sol français: « Il y a des équipes d’Evian qui se sont rendus à Saint-Quentin-en-Yvelines, pendant l’Alstom Open de France, et vice versa. », racontent les deux hommes.
Jean-Lou Charon : « Il est temps de transformer les passerelles en pont »
Une expérience qui s’inscrit dans la continuité d’actions engagées par la ffgolf au profit de l’Evian Championship. « Par le biais de sa Ligue régionale, entité fédérale, nous accueillons les enfants sur le site du tournoi. Avec un partenaire commun, la Société Générale, la ffgolf prend en charge deux enseignants pour faire des animations. Nos équipes participent à promouvoir l’événement. Et vous pourrez aussi noter que dans nos prises de paroles, dans tous nos écrits et on peut remonter pas mal d’années en arrière, nous avons toujours rendu hommage au tournoi, souligné la fierté que la Fédération éprouve d’avoir ce type d’épreuve majeure en France, et reconnu le travail phénoménal de reconstruction du parcours et surtout des années qui ont permis de faire de l’Evian "Masters", une épreuve majeure. Nous avons beaucoup de passerelles, il faut que ces passerelles perdurent, et il est temps désormais de transformer ces passerelles en pont. Que le passage s’élargisse », insiste Jean-Lou Charon.
Le message n’a rien de subliminal. Il est clairement exprimé, et positivement accueilli : « Je suis très optimiste, se réjouit Franck Riboud, pour chacun de nous dans notre rôle. J’estime que plus il y aura de choses à faire ensemble, à "ponter’" mieux ce sera… ».
« Il n’y a qu’une seule chose que je ne supporte pas, prévient Franck Riboud, c’est qu’on me regarde comme un simple "sponsor". Je veux qu’on me regarde comme un "acteur" du jeu à part entière. Celui qui fait la Haribo Kids Cup, la Junior’s Cup, l’Evian Championship, l’école de golf gratuite,… On ne peut pas dire qu’on ne travaille pas déjà au développement du golf en France. Mais je reconnais que jamais Jean-Lou n’a cherché à limiter mon rôle à celui d’un sponsor potentiel. »
Comment pourrait-il en être autrement quand on mesure l’impact que l’Evian Championship a eu sur la planète golf. On se souvient des années "glamour" avec émoi, mais Franck Riboud réfute ce mot. « Je trouve que le terme "glamour" s’associe de façon péjorative à un côté "bling-bling". Or, Evian, ce n’est pas du tout ça, c’est même complètement le contraire, moi ce que je voulais dès le départ, c’était une ambiance mariage ».
N’empêche qu’au fil du temps, le tournoi a réussi à influencer le look des joueuses, à souligner le côté féminin des golfeuses quand cela s’y prêtait, avec la chance d’avoir eu dès la première année, une championne idéale pour les médias et sponsors, une véritable égérie du golf féminin appréciée du monde entier, dans le sens où elle était une bonne joueuse et une très belle femme. Il s’agissait d’Helen Alfredsson.
Franck Riboud : « Le golf est un sport anglo-saxon (…) verrouillé par les Anglo-Saxons »
« Il est vrai que sur les tenues de joueuses, nous avons tordu le bras à pas mal de règles, en imposant notre style : nous avions envie que ce soit un peu fun ! Karine (Icher) avait mis un truc sur sa robe Lacoste, elle s’est fait engueuler par tout le monde ! », s’amuse Franck Riboud, qu’on découvre finalement assez nostalgique des premières années du tournoi : « C’est vrai que la partie sportive nous concerne de moins en moins, car c’est géré par la LPGA, à l’américaine, et on n’a pas le choix. Le golf est un sport anglo-saxon, tenu par les Anglo-Saxons, verrouillé par les Anglo-Saxons, et moi, j’ai passé l’âge de me battre. Et d’ailleurs, je ne vois pas ce que je pourrais y gagner, parce qu’ils ont réussi à tout contrôler. C’est un peu la boxe et le judo. Nous, on a gardé la main sur le terrain, sur les départs, les positions de drapeaux. Quand on a refait le parcours, au même moment, on négociait le "majorship". Je me souviens avoir agrafé moi-même, le budget et le plan du parcours ensemble. Parce que je voulais conserver des preuves qu’ils avaient bien tout "checké" eux-mêmes. On a embauché le spécialiste de l’herbe de l’USPGA, l’architecte-conseil de la LPGA, et en plus, on avait des machines de la bonne couleur, alors, ça allait… »
Aujourd’hui, du fait du changement de cible, et parce que le tournoi est devenu beaucoup plus international, le message délivré aux journalistes est un message plus institutionnel qu’il ne l’était autrefois.
« Il y a deux choses à comprendre, explique Franck Riboud. Vous avez d’un côté un tournoi de golf professionnel qui est - à un dollar près, parce qu’il faut respecter certaines choses - le plus gros du monde derrière l’US Open. Là, la joueuse gagne avec ses clubs, elle est professionnelle jusqu’au bout des ongles, ce sont les meilleures qui gagnent et on est sur le toit de monde, parce qu’il n’y a que ça qui compte : la victoire. C’est du sport de haut niveau, ce n’est pas une kermesse ! Et puis d’un autre côté, très important, il y a l’ambiance qu’on souhaite créer autour du tournoi. Et là-dessus, heureusement, on a les mains libres. Avec les sponsors, nous partageons nos listes d’invités. Je suis allé parler "Economie" avec Frédéric Oudea (PDG de la Société Générale) devant des clients de sa banque. Il y a des soirées au Royal d’Evian, très chic, mais en même temps, il y a un match de football pour les caddies. Certes, des gens connus y participent. Parce qu’à chaque but marqué, des sponsors donnent de l’argent à "ELA" (contre les leucodystrophies). Toutes les entrées sont payantes, on ne touche évidemment pas un euro, on redonne tout à la lutte contre le cancer du sein et à ELA. »
Au-delà de ce geste généreux et symbolique, les retombées financières du tournoi d’Evian concernent le monde du golf dans son ensemble. Elles servent à soutenir les trois grosses priorités de Franck Riboud : la quête de champions via la création d’évènements de haut niveau pour des tranches d’âge de 8 à 16 ans, (jusqu’à 18, pour un tournoi où les jeunes golfeurs américains seraient conviés à Evian); le développement du golf amateur comme un trait d’union entre le monde des ados post-pubères et celui des pros; la possibilité offerte aux proettes de vivre de leur sport, et d’une manière plus globale - à la fois causes ou conséquences de cette dynamique - développer un marché du golf conséquent sur le territoire français.
Même s’ils ne sont pas d’accord sur tout, s’ils ne sont pas informés de tout ce qui est déjà inscrit au programme de l’un et de l’autre, on a pu constater combien Jean-Lou Charon et Franck Riboud étaient en phase dans leur manière d’identifier les freins au développement du golf, les réformes à entreprendre, les dossiers les plus urgents à traiter.
Sur la politique des jeunes, par exemple, Franck Riboud nous dit : « Quand vous regardez les wild-cards attribuées à l’Evian Championship, (que de jeunes joueuses amateur), vous voyez que les faits accompagnent mes propos: je suis convaincu qu’un sport se développe par ses champions. Plus que par ses événements. Et j’inclus même Evian là-dedans ».
Quelle surprenante position de la part d’un directeur de majeur ! « Je suis ravi de voir de grands événements disputés en France, admet celui-ci. Mais je suis assez cartésien, je regarde les autres sports. Le tennis a eu une époque florissante, mais c’est bien Noah à Roland-Garros qui l’a faite exploser, de même que les Barjots au hand, en épée, Philippe Riboud pour citer un homonyme, le ski (Portillo 66), Killy et Goitschel, etc. donc il faut des champions. Et pour avoir des champions, il faut bien les former, et pour les former, il faut payer, et payer cher, et organiser plus d’épreuves à leur intention. » Telles que la Haribo Kids Cup et la Juniors’ Cup, ses créations dont il tire une très grande fierté, et tant de plaisir à les organiser. Parce qu’il y retrouve l’esprit bon enfant du début des années Evian, et sait que l’élite mondiale de demain se trouve sous les traits d’une dizaine de ces gamins, parmi tous ceux qui affluent du monde entier.
Pour preuve l’exemple de Jordan Spieth. Il faut écouter le témoignage du prodige américain, raconter son expérience à Evian (sur le site de l’épreuve) pour comprendre l’impact que ce type de rendez-vous planétaire peut avoir sur un adolescent. Comment le jeune Américain a réalisé à l’âge de 15 ans, l’ampleur et le niveau de la concurrence étrangère, comment s’est forgée une vraie amitié entre lui et Justin Thomas, qui dure encore aujourd’hui, comment il a observé les participantes de l’Evian Masters (à l’époque) se préparer à un grand événement et s’en est inspiré. Comment en cette occasion unique, il a grandi en tant que futur adulte et comme golfeur. « La "Junior", insiste, Franck Riboud, c’est une belle épreuve, car ce sont vraiment les nations qui sont mises en avant. Les trois meilleurs scores faisaient le Pro-Am après. Jordan avait joué avec Juli Inkster. »
Depuis 2005 et la première mandature de Georges Barbaret, la quête d’un champion est aussi l’objectif prioritaire de la ffgolf.
« Je côtoie beaucoup de parents qui croient tous qu’ils ont Tiger Woods à la maison. C’est une chance pour une fédération. C’est une chance d’avoir des parents de gamins qui disent - Mon fils peut être Tiger Woods. - Imaginez une école de golf où les parents ne penseraient pas ainsi ? Cela deviendrait des garderies ! Et on le sent vraiment, ce désir chez les parents, avec l’effet Dubuisson ».
Forcément absent du cœur des débats internes à la ffgolf, Franck Riboud ne se fie qu’à ce qu’il a vu par lui-même pour forger son opinion : « Tout ce que je vous dis là, je ne l’apprends pas par la Junior’s Cup, ni par le Championship, mais je l’apprends avec la Haribo Kids Cup, où l’on a tous les gamins de 8 à 12 ans. Autrefois, on disait toujours que la maturité golfique, pour les champions se situait entre 25 et 32 ans. Ce n’est plus le cas ! »
Et il s’enquiert de savoir si les instances fédérales ont pris conscience du phénomène de précocité des champions en herbe.
Jean-Lou Charon : « Aujourd’hui la tranche d’âge 7/14-15 ans est la tranche vitale pour l’avenir du golf »
Bien sûr, tout cela a bien été identifié, côté fédéral. Depuis au moins trois ans, de nouvelles mesures se mettent même en place, d’autres sont en passe de l’être. Le Président Charon l’affirme à son vis-à-vis : « C’est exactement la politique qu’on a mise en place pour justement détecter les enfants dès le plus jeune âge, et non plus à 17 ans, où c’est (sans doute) trop tard. Aujourd’hui, la tranche d’âge 7-14/15 ans est la tranche vitale pour l’avenir du golf. L’étape importante où nous devons agir. Mais c’est à la base, au niveau des clubs, des Comités, des Ligues, que là, le travail est à faire. » D’où l’apparition en 2016, d’un guide pédagogique à l’attention des écoles de golf.
Le système de détection de la ffgolf s’appuie sur les ligues et les comités départementaux. Les cadres techniques, en lien étroit avec la DTN, s’attaquent aux tranches d’âge inférieures à 10 ans. Les membres de la DTN et les coachs des moins de 14 ans se déplacent sur les grands prix jeunes créés depuis 2014.
Une base de données spécifique trace les scores des enfants et le Mérite jeunes a été créé tel un nouvel indicateur. Au fil des semaines, les mailles du filet se resserrent au point qu’il apparaît quasi impossible de passer à côté de champions en herbe.
La journée de sélection des pôles et une tournée britannique spécifique pour les moins de 14 et 16 ans complètent le dispositif. Et si les pôles espoirs s’arrêtent en classe de seconde, c’est parce que la ffgolf ne mise pas sur des révélations tardives ! Mais ne les laisse pas tomber pour autant. Pour ceux qui éclosent plus tard, ou seraient passés à travers le repérage, les programmes "Elite" sont là pour les prendre en charge à tout moment ».
Franck Riboud a des idées sur le sujet. Organisateur de la Danone Nation Cup, compétition de football de haut niveau, il porte un regard positif sur le système de détection en place dans le monde du ballon rond et pense que le golf pourrait s’en inspirer.
« Dans le foot, il y a des chasseurs de talents, qui observent des jeunes de 12 ans, qui les convoquent à Clairefontaine pour un stage - c’est déjà un élément de valorisation énorme pour l’enfant - et une fois qu’ils ont participé à ce stage, on leur dit - On te prend à Clairefontaine ». En golf, il faut savoir que ça coûte très cher de jouer au golf à un haut niveau pour les gamins ».
Jean-Lou Charon : « Mon rôle est d’encourager les clubs à réagir, bouger, entreprendre »
Et Franck Riboud, fidèle à son tempérament de fonceur, de créer un monde tel qu’il l’imagine, idéalement implanté et régi, en deux ou trois traits bien sentis : « Il y a l’encadrement qui n’est pas du tout comme au football. Les conditions d’hébergement… Les gamins que ça concerne, je les connais, Jean-Lou les connait, Christophe (Muniesa) les connait, Maitena (Alsuguren). Ils seront tous à Chiberta dans deux semaines… C’est le Tournoi Fédéral Jeunes, les U 16, U 14, U 12, je les ai tous vus et j’affirme que vous avez en France, actuellement, dans ces catégories d’âge, soixante enfants qui tiennent la route. Sur ces soixante, vous aurez peut-être trente dont les parents accepteraient de laisser leur enfant dans les pôles. Vous mettez une vraie maison, comme dans le foot, et des "Clairefontaine", vous en aurez six dans toute la France. Et là, vous payez. Vous payez pour la même chose qui se fait avec Olivier Leglise, Benoît Ducoulombier, etc. pour le niveau du dessus. »
Evidemment, tous ces projets nécessitent des moyens financiers. Et là aussi, les deux hommes ont des idées.
La manne fédérale est conséquente mais pas inépuisable ce qui fait dire aux deux hommes que les clubs ont un rôle à jouer malgré un contexte économique tendu : « Mon rôle est d’encourager les clubs à réagir, bouger, entreprendre », explique Jean-Lou Charon. Mais, dans le public, comme dans le privé, il faut des moyens financiers pour obtenir des prestations de qualité. On ne peut pas compter que sur la bonne volonté des bénévoles. Même si elle est le moteur de tous les succès, l’argent reste le nerf de la guerre, et ce, dans un temps limité car les enfants d’aujourd’hui, ce n’est pas demain qu’il faut les aider ».
A lire également

Fédération française de golf - Evian : la possibilité d’un pont
La ffgolf et Evian contribuent activement, chacun dans leur champ d’action, au développement du golf féminin. Le 31 août dernier, à quelques jours de l’ouverture de l’édition 2015 de "The Evian Championship" (10-13 septembre 2015), le président Jean-Lou Charon et Franck (...)

La force de frappe de l'Evian Championship
Avec sa dotation sensiblement égal à celui de l’US Open, le seul tournoi majeur du continent européen est un joyau en soi. Mais au-delà de son succès, se cache un potentiel économique dont tout le golf français pourrait profiter.

Les golfeuses à l'honneur
Autant côté Fédération qu’au sein des équipes de Franck Riboud, on a conscience des difficultés rencontrées par les jeunes espoirs féminins, amateurs ou proettes. Le marché ne se développera pas sans elles.